Vas-tu finir ton assiette

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Les Chefs 2024 : Qu’est devenu mon kale, navire déserté?
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Les Chefs 2024 : Qu’est devenu mon kale, navire déserté?

C’est quand la dernière fois que vous avez reçu à souper autour d’un poème, gang de plates?

mai 21, 2024
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L’épisode de la semaine passée

On l’a écouté, mais on a pris congé. Bye Sidney! Veau en croûte carré, Collin a quitté.

Cette semaine, à vos Moleskine et regards perdus vers l’horizon

On se pose la question : «Et si Émile Nelligan avait fait quelques shifts à la cafétéria de son asile?»

Que reste-t-il de cuit dans le poulet à la Kiev?
Qu’est devenu mon coeur, macaroni gratiné?
Hélas! Il a sombré dans la friteuse du rêve!

Pour inspirer les concurrent·es dans ce défi autour de la créativité (car Dieu sait qu’il faut beaucoup de créativité pour se loger et se nourrir sur un salaire de poète), la prod des Chefs a invité une de nos plus grandes poètes, une véritable orfèvre des mots, qui nous a pratiquement fait pleurer quand on a lu son plus récent recueil, maintes fois primé. Malheureusement, elle n’était pas disponible. Faque la prod s’est rabattue sur un comédien et v’là-ti pas qu’Emmanuel Bilodeau vient lire un beau potit poème.

Aw.
— Les candidat·es qui applaudissent poliment en essayant de pas sonner trop déçu·es

Immédiatement, la mention de la brume nous fait penser à un autre grand poète et barde, qui chantait la gloire des «brumes de ta bouche» dans lesquelles il se réveille. Il y a clairement plusieurs niveaux de lecture à ce sonnet gastronomique.

On dirait un resto à déjeuner qui s’est un peu emporté en nommant ses plats.

Soulevé par une vague d’inspiration poétique, Anthony pointe Emmanuel Bilodeau, presque les larmes aux yeux, en s’exclamant «Vous êtes un génie!» pis c’est ça qui arrive quand notre bon diffuseur public embauche toujours le même slammeur surexposé sur toutes ses plateformes : tu mets la barre tellement basse littérairement parlant que «florilège du jardin» procure autant d’émoi à toute une génération que freaking Speak White à la Nuit de la poésie 70.

il est si beau de vous entendre
parler de surf and turf
ou du pétoncle gracieux et anonyme qui cuit
dans le sous-vide du FoodSaver

Colombe arrive alors dans le studio, portant un béret, un foulard et des lunettes fumées. Accompagnée d’un joueur de conga, elle prodigue ses conseil sous la forme d’un poème beat, à la Jack Kerouac.

Lapin, chevreau, gigeau
Longe d’agneau
Bar, pétoncles, oursins
Cuisinez de quoi qui excite le bassin

tu viendras tout ensoleillée d’existence/la bouche envahie par la fraîcheur des herbes/le corps mûri par les jardins oubliés — Gaston Miron, La marche à l’amour

Anthony s’essaie à la poésie du geste, et l’accompagne avec un peu de danse interprétative spontanée. 

Il y a des gens qui dansent sans entrer en transe et il y en a d'autre qui entrent en transe sans danser. — Jacques Prévert, Spectacle

Élyse et le jury profitent du temps que les concurrent·es fouillent dans la pantry pour tenir leur book club mensuel en analysant le poème du jour. Que voulait dire le poète en écrivant «florilège»? Comment interpréter la «brume matinale»? Est-ce une image qui illustre la confusion générale inhérente à la condition humaine, où l’humanité doit apprendre à naviguer l’épais brouillard de l’existence au lever de la civilisation, ou bedon veut-il parler d’une vinaigrette plutôt légère, avec peut-être une eau de tomate?

Quant au prince des pâturages et sa chumme qui sent le pouésson, tous·tes s’entendent pour dire que Bilodeau avait juste envie d’un steak avec des langoustines à la Casa Grecque quand il écrit ça.

Vient alors le temps de déclamer les menus, à la vitesse 2x parce que eille, le temps dans la cuisine des Chefs ne ralentit pas, pas même pour la beauté du Verbe, et Élyse se laisse séduire aux évocations de florilèges de côrôttes.

Et toutes sortes de bonnes choses qui vous imposent autoritairement les muqueuses ou vous les fondent en subtilités, ou vous les distillent en ravissements, ou vous les tissent de fragrances, et l’on rit, et l’on chante… — Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

Pour notre part, on se lance le défi de faire tout notre texte en alexandrins. Alors si vous voyez des syllabes pas rapport à la fin de nos phrases, c’est pour que ça arrive au bon nombre de pieds tidlidé.

Et puisque le Temps, ce souverain tant cruel
Ne saurait cesser pas même pour le sang versé
De passer inexorablement vers la mort
La vitesse fatale, Anthony se choppe un doigt

La mort qui vous étreint comme des bras d’amant,/Et qu’elle emporte ailleurs cette loque fiévreuse/Qu’est mon être vaincu, magnifique et sanglant. — Jovette Bernier, Les Masques déchirés

Ému par le jardin et la table de produits
Guillaume va faire un ti poush poush, Élyse ravie

Il fit le doigt de la femme,/Chef-d'oeuvre auguste et charmant,/Ce doigt fait pour toucher l'âme/Et montrer le firmament. — Victor Hugo, Le doigt de la femme

 Ah pis fuck les alexandrins, c’est trop chiant.
— Caroline et Mathieu chokent leur idée,
si vous comptez ces phrases elles font douze pieds

Un peu comme un streptocoque au printemps, la poésie se fait contagieuse et tout le monde s’y met, en cuisine, en studio, à la maison.

J’me suis dit c’est pas assez de faire du pain
Tu pourrais farcir un lapin
— Sébastien, qui a décidé de parler en rimes jusqu’à la fin de l’épisode, comme un gars d’impro gossant au cégep

Si ça s’active le pouème dans la cuisine, les juges ne sont pas en reste côté verve. Pasquale ressort son p’tit calepin d’aphorismes à la vue de la boucherie du lapin de Sébastien et lance l’implacable «si on maîtrise pas bien, on choisit d’autre chose», ce qui explique pourquoi Caroline et Mathieu n’ont pas de baccalauréat en quelque chose d’utile.

Luca orné de son brushing de Nelligan lance «avec du bon pain, on fait des bons croûtons», perle de sagesse que Colombe note immédiatement pour un futur au revoir de perdant de la semaine. 

Sébastien envoie sa focaccia dans le frigo, sans doute pour rappeler que s’il y a de la brume dans le jardin, c’est que c’est pas chaud pour la pompe à eau. Or, de la pâte dans le frigo, ça lève comme un récital de poésie dans une maison de la culture à Pierrefonds-Roxoboro. Les juges sont perplexos.

Anthony, tel Verlaine, s’essaie à l’art poétique et récite :

La couleur!
L’amour!
Le soleil!

Il s’essaie aussi à l’art du pois mange-tout, sauf que le soleil a tapé trop fort, la couleur c’est noir brûlé, pis l’amour a plus l’air d’une demande de divorce après 13 ans de sexe décevant. Ses pois mange-tout deviennent des pois crisse-tout au compost.

Quant à son lapin, il est toujours en train de cuire sous-vide, ce qui inquiète énormément la table jugistique et nous inspire ce joyeux quatrain très prévertien : 

Comme un magicien sans timing
Le lapin toujours dans le chapeau
Comme un gars mal pris en cuisine
Le lapin toujours dans l’eau

Sébastien interprète à sa façon la brume matinale en cuisinant dans un gros crisse de nuage de boucane. 

Suzie commence ses pâtes, y’é trop tard pour tout, les juges sont convaincu·es que la moitié des concurrent·es vont leur donner un grilled cheese frette comme repas, c’est la catastrophe pour tout le monde et à les écouter, on serait aussi ben de partir le générique tout de suite parce que c’est pas à soir qu’on va manger. 

Le désespoir n’a pas d’ailes,/L’amour non plus,/[...] Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir. — Paul Éluard, Nudité de la vérité

Anthony, qui semble avoir confondu la poésie et la tragédie, recommence à saigner, au moment même où il découvre que son lapin est aussi saignant que lui. Il renvoie ça au four, éclaboussant la cuisine d’un grand trait d’hémoglobine, pendant que Colombe tente en vain de lui diachylonner le doigt.

À la table des juges, ça fait la même face que si tu te pointes dans une soirée de la poésie et que ton texte commence par «L’eau a tant passé sous le pont/Que de son lit/Une autre page s’est tournée». Bref, n’en déplaise à la poétesse du quotidien, ça va pas bien.

Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens/On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages. — Louis Aragon, Les yeux d’Elsa

5,4,3,2,1
C’est terminé!
Pub de Montpellier

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