Attention le feu, c’est chaud, c’est sauce piquante
Aimez-vous regarder des gens goûter de la sauce piquante en pleurant? Voici la version queb de Hot Ones.
INTÉRIEUR, STUDIO DRABE, JOUR
[Un animateur avec autant de cheveux que d’aisance (c’est à dire bien peu) est assis au bout d’une table, dans un décor qu’on dirait volé à la télé communautaire de Louiseville. À l’autre extrémité de la table se trouvent Caroline et Mathieu, les petits zigotos derrière le blogue, et futur livre actuellement en pré-vente, Vas-tu finir ton assiette. Devant elleux, des bouteilles de sauces piquantes sont alignées, juste à côté de deux barils de PFK, d’un verre de lait tiède parce que le tournage dure deux heures pis d’un verre d’eau du robinet.]
ANIMATEUR : Bienvenue à Une petite saucette, l’émission où on interviewe des célébrités, en entrecoupant inexplicablement chaque question d’une bouchée d’aile de poulet qui devient de plus en plus piquante au fur et à mesure que les questions deviennent intéressantes. Plus l’invité·e a la yeule en feu, moins il ou elle est capable de répondre de façon cohérente aux questions. Caroline et Mathieu réussiront-iels à passer à travers cette épreuve en ploguant suffisamment la prévente de leur livre?
CAROLINE ET MATHIEU : Bonj…
ANIMATEUR : Hey woh woh woh. Parlez pas! On a pas encore mangé de piquant! Et on débute avec quelque chose que ma tante Sylvie m’a dit que c’était pas mal piquant, au point où elle a retourné son assiette au Normandin :
Une aile de poulet avec du vieux paprika de dessus de pâté chinois
[L’animateur, Mathieu et Caro prennent tous une bouchée, en tentant d’avoir un air élégant en se cachant le bas du visage avec un mouchoir en tissu, donnant l’impression que c’est pas vraiment un bon concept de show filmé, cette affaire-là.]
CAROLINE : Là, on peut-tu parler?
ANIMATEUR : Oui! Et ma première question, c’est… ça va?
MATHIEU, candide : Ben, vous savez… Avec l’état actuel du monde, c’est pas toujours facile de trouver la motivation pour se lever le matin. Je veux pas parler pour Caro, mais moi, j’ai pleuré plusieurs minutes sans savoir pourquoi dans mon lit aujourd’hui. Je soupçonne un conflit intérieur avec mon père, mais je n’ai pas le courage d’en parler à un psy, parce que les implications me semblent trop lourdes. Y’a des journées comme ça.
CAROLINE : …
ANIMATEUR : …
MATHIEU : Wow. C’est vrai que ça fait sortir les confidences, votre concept!
CAROLINE : Ben, moi ça va correct. Prochaine aile de poulet?
ANIMATEUR : Oooooh, la prochaine bouchée va faire des flammèches dans votre bas-ventre, parce que c’est…
Une aile de chou-fleur (végane!) à manger en regardant une photo de Geri Halliwell en 1996 (spicy!)
[Les trois mâchent en silence, en zieutant intensément une photo du clip de Say You’ll Be There, où Geri joue le rôle de Trixie Firecracker, dans un petit suit en cuirette, les seins jackés, avec des cheveux digne du bal de finissants d’une fille un peu rebelle en 1999 et du fard à paupière bleu du Claire’s pris en promo 5 items pour 20 dollars avec un kit de pinces papillons, un crayon avec de la fourrure sur le bouchon, une mood ring et un collier BFF avec un signe de yin-yang à partager avec sa meilleure amie.]
CAROLINE, marmonnant, pensant que personne ne l’entend : Oh, I’ll be there, Geri. I will be there.
MATHIEU, semblablement : Yes I swear…
ANIMATEUR : Ma prochaine question est quand même assez personnelle… Je voudrais savoir… Seriez-vous capables de m’expliquer c’est quoi l’histoire dans le clip de Say You’ll Be There? Parce que je comprends pas pantoute.
CAROLINE : Qu’est-ce que tu comprends pas de ce chef-d’œuvre qui est une allégorie sur la puissance de la sororité amplifiée par le contraste du désempouvoirement de l’homme symbolique via une imagerie évocant des classiques de genre du film d’exploitation américain en vogue dans les années soixante et soixante-dix, plus particulièrement un hommage peu voilé à Faster, Pussycat! Kill! Kill! de 1965?
ANIMATEUR : Elles sont dans un désert…
MATHIEU : Ouaip.
ANIMATEUR : Ça commence avec un générique qui les présente comme des personnages avec d’autres noms alors qu’elles ont déjà toutes un surnom…
CAROLINE : Han han. Des surnoms trouvés par un journaliste incapable de se rappeler de leurs vrais noms, mais sûrement capables de nommer les 6 Beatles. Esti de misogyne.
ANIMATEUR : Pis elles chantent en dansant dans leur pit de sable…
MATHIEU : Hey, ho! Sporty Spice danse ET donne des coups de pied.
CAROLINE : Versatile Spice!
ANIMATEUR : … en lançant des étoiles de ninja magiques dans le vide, entre deux concours de qui peut péter le plus de cruches d’eau?
MATHIEU : Y’a aussi des hommes qui se promènent en char.
CAROLINE : Et elles en attrapent un, pis elles l’attachent dans le désert pour le laisser mourir.
MATHIEU : Sans doute parce qu’il ne voulait pas get with my friends.
CAROLINE : Une raison valide.
ANIMATEUR : Mais qu’est-ce que ça veut dire, tout ça?
MATHIEU ET CARO, en chœur : Qu’elles veulent que tu be there. Voyons.
CAROLINE : Y’est ben pas vite, lui.
MATHIEU : Mets-en. NEXT!
Un pilon de poulet avec la sauce Queso sin Queso, par les Montréalais de Good Heat
CAROLINE : Hey, ça goûte le fromage à nachos!
MATHIEU : Mais épicé.
ANIMATEUR : Bien vu! La sauce est orange et goûte le fromage à nachos parce qu’elle contient beaucoup de levure alimentaire.
CAROLINE : Ça, c’est l’affaire que celleux qui cuisinent végane pour la première fois savent pas c’est quoi et finissent par mettre une demi-tasse de levure Fleischmann dans leur tofu magique alors que c’est pas ça pantoute?
ANIMATEUR : Exactement! Ça veut dire que même si ça goûte le fromage, la sauce est complètement végane.
MATHIEU, mordant à belles dents dans son pilon de poulet : C’est cool pour les gens comme moi, qui sont véganes depuis des années!
[Les trois continuent à prendre des bouchées, parce que c’est franchement toxicomanogène, cette affaire-là. La bouche leur chauffe un peu, mais c’est somme toute gérable.]
LA RÉGISSEUSE DE PLATEAU, des coulisses : OK, on enchaîne!
CAROLINE, la bouche pleine : J’ai pas fini!
ANIMATEUR : Avec quoi vous mangeriez ça, cette sauce-là?
MATHIEU : Avec mes doigts!
[Les trois rient à l’unisson, le cœur rempli par la chaleur d’un agréable mélange d’habanero et levure alimentaire. Ou serait-ce plutôt la chaleur d’une amitié nouvelle qui se forge? La prochaine sauce nous le dira…]
Un quart de cuisse de chez Scores avec deux gouttes de la sauce Le fruit défendu, par La Pimenterie
ANIMATEUR : Celle-là, faut pas en mettre beaucoup.
MATHIEU, sans arrêter, parce qu’il ne croit rien tant qu’on ne lui a pas expliqué en détail le pourquoi du comment : Pourquoi?
ANIMATEUR : Parce que c’est un mélange de piment long fort rouge, de piment rouges scorpion, de piment habanero chocolat, de piment jalapeño rouge, de piment habanero rouge, de piment bhut jolokia et d’un des piments que Normand Brathwaite pitchait en criant «C’est chaud c’est chaud c’est chaud». Le résultat est quand même assez puissant.
MATHIEU, qui a eu le temps de verser une demi-bouteille sur son quart de cuisse pendant qu’on lui listait les 38 piments : Oh. Bon ben… alea jacta, esti!
[Mathieu mange son quart de cuisse d’une seule bouchée, sous le regard interloqué des deux autres.]
CAROLINE : La boucane qui sort des oreilles, c’est un effet normal, ça?
ANIMATEUR : Oui. Aweye, prends ta bouchée.
[Caroline s’exécute, et alors que les larmes lui montent au yeux, mais qu’elle remarque quand même un agréable petit goût boisé à travers la chaleur des piments, le genre de goût qui distingue les vraies bonnes sauces des sauces cheap qui servent seulement à ce que des Piment Bros se sentent bons d’être capables de manger épicé comme des vrais hommes, l’animateur lâche une question qui est elle-même assez spicy.]
ANIMATEUR : Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995?
[Caroline et Mathieu tentent de répondre, mais des centaines d’Ontarien·nes et d’Albertain·es débarquent en studio pour crier «We love you Kwoubec!» pendant que Daniel Johnson brandit une grosse pancarte «❤️ mes Rocheuses».]
ANIMATEUR : Et on est enfin rendu·es à la dernière bouchée épicée de l’émission! Êtes-vous prêt·es? Devant nous se trouve…
Un poulet entier rôti, recouvert du mois de février 2024!
MATHIEU : Non, moi je touche pas à ça. Y’a toujours ben des crisses de limites à être chaud de même!
CAROLINE, chuchotant comme elle peut, la langue déjà enflée : On n’a pas le choix. Si on se défile maintenant, on repartira pas avec notre paye.
MATHIEU : Notre paye, c’est un panier-cadeau de fruits! Nos vies valent plus cher que ça! Notre intégrité aussi!
CAROLINE : As-tu déjà essayé de faire des lunchs avec de l’intégrité? Moi j’en ai deux par jour à faire, cinq jours par semaine, jusqu’en 2034. Enweille suck it up, maman veut son panier de fruits.
MATHIEU ET CAROLINE, d’un même souffle découragé et qui pue le poulet et la capsaïcine : C’est bon, on y va.
[Pendant que Caroline et Mathieu prennent une microscopique bouchée de réchauffement climatique, qui score pas loin de 16 milliards d’unités sur l’échelle de Scoville, l’animateur fait mine de chercher son carton sur lequel est inscrite sa question et évite carrément de goûter. Les yeux gonflés par les larmes et la douleur, Caroline et Mathieu ne voient rien aller, et comme ce sera coupé au montage, iels ne pourront pas poursuivre en justice la production après la perte de 88% de leurs facultés gustatives.]
ANIMATEUR, les doigts pleins de gras de poulet et de sauce piquante, en tournant les pages du livre en prévente : Au fil des pages de votre livre, Vas-tu finir ton assiette : essais et facéties entre deux allées d’épicerie, on se rend compte que votre humour cache un propos politique, qui s’inscrit dans la mouvance de l’anticapitalisme. On présume que c’est un propos réfléchi, appuyé sur une grande connaissance du sujet. Je serais donc curieux de vous entendre sur ce dit sujet. Selon vous, lorsqu’il est question de capitalisme tardif et de ce qui le caractérise, comme l’extractivisme et le néolibéralisme à la promesse de ruissellement et le fameux mythe de la main invisible, dans quel modèle alternatif se trouve la meilleure réorganisation de notre système économique et politique, celui qui permettra, d’un point de vue émancipateur, une planification économiquement plus démocratique, tout en évitant les écueils de modèles construits sur la base d’une propriété collective aux dérives malheureusement bien connues?
CAROLINE ET MATHIEU, suant à très très grosses gouttes teintées de rouge, le nez pissant de la morve comme l’alien qui bave en regardant Ellen Ripley, les narines distendues, chacun·e un œil ouvert à moitié tuméfié et l’autre aux vaisseaux sanguins éclatés peinant à faire le focus la pupille complètement dilatée, des larmes salées ruissellant sur leurs visages boursouflés, les lèvres bouffies se couvrant de cloques sur le point d’éclater, la bouche déformée en un rictus d’agonie, les dents salies d’un mélange de filaments de viande de sauce de salive et de sang, le menton dégoulinant d’une infecte mixture d’écume et d’hémoglobine, une mèche de cheveux imbibée de transpiration collée à leurs fronts rougis par la souffrance, les poils de leurs nuques dressés par la douleur se couvrant d’une malodorante moiteur qui se répand sous leurs aisselles et entre leurs aines, le souffle court et hoquetant au rythme des vagues de nausée, tendent péniblement la main vers le verre de lait devenu chaud, les doigts pris d’un tremblement incontrôlable de détresse, dans l’espoir d’y recueillir une dernière gorgée salutaire pour éteindre, non même pas éteindre, calmer, adoucir, apaiser ne serait-ce qu’un instant le feu fulgurant qui rayonne de leur langue jusqu’au bout des orteils en violents spasmes les portant chaque fois au bord de l’évanouissement : Le… premier?
[Cue le générique. Caroline et Mathieu s’effondrent au sol, alors que la régisseuse de plateau arrive avec un panier de fruits. Elle kicke du bout de son escarpin le corps immobile de Mathieu, qui ne réagit pas. Elle repart avec le panier de fruits, le met dans le coffre de sa Volvo et calle sa chum pour organiser un brunch entre gurls le lendemain avec full fruits.]
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Les deux vraies sauces piquantes nous ont été offertes par La Pimenterie et l’Agence FDM. On a nous-mêmes payé nos ailes de poulet fictives. Aucun chou-fleur n’a été maltraité lors de ce tournage. Ce texte est garanti sans gluten et sans arachides. Si vous voulez nous envoyer d’autres affaires gratisses, comme des roulés suisses, pour qu’on en parle peut-être vaguement à travers un texte de 2000 mots, n’hésitez pas à nous contacter.