Adieu, meilleur chocolat de tous les temps
Sont-ce des larmes qui coulent sur nos joues, ou le sirop d'un Cherry Blossom?
Peut-être avez-vous décroché des nouvelles dernièrement. Pour éviter… ben… on le dira pas parce que vous voulez pas en entendre parler. Disons seulement que ça comment par Don-, ça finit par -nak, pis entre les deux il y a «ald Trump est redevenu président, ce qu’il a fait en 48 heures est encore plus fou malade qu’on le prévoyait pis Elon Musk a fait DEUX saluts nazis pour être sûr qu’on avait bien vu, voyons donc quossé ça tabar».
Bref, si vous avez décroché des nouvelles, vous avez manqué l’annonce d’une véritable tragédie. Assoyez-vous bien solidement et tenez confortablement la main d’un être cher (celle de votre tendre moitié, la patte de votre hamster, la main gantée de l’hygiéniste dentaire qui attend que vous finissiez de lire ce texte pour passer le p’tit aspirateur à bave), parce que la nouvelle va fesser.
Le Cherry Blossom n’est plus.
QUOI? [Bruit de chute et de coccyx brisé]
— Un lecteur, qui ne nous avait pas pris·es au sérieux quand on lui a dit de s’asseoir.
«Après avoir été une gâterie appréciée des Canadiens pendant de nombreuses années, Hershey Canada confirme que le Cherry Blossom ne sera plus offert partout au pays au début de 2025», a déclaré Hershey Canada, continuant ainsi de frapper sur le proverbial cheval mort de nos espoirs d’une année meilleure, alors qu’on est encore et toujours en janvier.
Bien entendu, dans un mouvement très papier cul 2020, les gens se sont rués sur les présentoirs, plusieurs dans le but d’aller revendre leur butin sur Marketplace tellement vite que le moteur du char était encore chaud. Car que serait un drame sans un peu de capitalisme?1
Certain·es, comme
, célèbrent la disparition de ce diamant brun. L’outrancière polémiste y va même de ce mesquin commentaire :«Je sais pas qui a eu l’idée de vendre un chocolat dont l’image ressemble en tout point aux caillots que j’expulse quand j’ai le malheur d’éternuer pendant que je suis dans ma semaine. Je sais juste que cette personne ne méritait pas son salaire. Allez, enterrez-moi cet accident de parcours avec ma serviette sanitaire et tous les autres déchets organiques, svp, ça presse.»
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Chus tellement choquée que je vais même prendre un abonnement payant pour lui montrer à qui elle a affaire. Elle va subir mon 50$ annuel de ressentiment, pis je vais lire son takedown d’Elon Musk en faisant une baboune! Kin toé!
— Caroline, courroucée, les poings sur les hanches et le regard défiant l’horizon
Vous ne lirez pas ce genre de réquisitoire calomnieux ici. Parce qu’à Vas-tu finir ton assiette et fils et filles et associé·es incorporated LLC point org, on aime les Cherry Blossom. Et on le dit haut et fort. Checkez ça.
[Mathieu et Caroline grimpent en haut d’un poteau de téléphone.]
C’est-tu assez haut, tu penses?
— MathieuÇa devrait faire.
— Caro
[Ils empoignent chacun un mégaphone.]
ON AIME LES CHERRY BLOSSOM!
[Une nuée de corneilles s’envole en panique, cinq chiens se mettent à japper, tout le pâté de maisons se réveille en sacrament, les lumières s’allument une à une.]
Vos yeules, les pouilleux!
— Un voisin à qui on ne pourra assurément plus demander une tasse de sucre pour dépanner
[À bien y penser, peut-être que Mathieu et Caroline auraient pu attendre la fin de leur sugar high avant de faire leur grande déclaration. Mais on pense toujours moins bien quand on a la tête embrumée par le deuil et les doigts collants.]
Car le Cherry Blossom, créé en 1890 par Don Cherry et Jo Blo-Ssom, n’est pas un chocolat ordinaire.
Éloge au chocolat coconutté
Si le papier brillant qui l’emballe (assurément une feuille d’argent pur) n’était pas déjà un message assez clair, explicitons-le : le Cherry Blossom est un chocolat de célébrations et d’occasions spéciales. C’est le wagyu du rack de bord de caisse d’épicerie. Le melon yubari de la confiserie à une piasse. Le champagne du chocolat au look un peu ciré.
Tu offres une Coffee Crisp à l’être cher, et tu auras peut-être droit à un remerciement poli. Mais si tu lui offres un Cherry Blossom, houla! Prépare-toi à aller magasiner une robe sur la rue Saint-Hubert parce que les épousailles te guettent.
En connaissez-vous d’autres, vous, des chocolats qu’il faut manger assis·e, à une table, avec une bavette, un petit bol d’eau et un majordome pour t’essuyer le menton? Non, hein? Ben c’est ça.
C’est impossible de manger un CB distraitement. Personne ne peut innocemment sortir un Cherry Blossom pour combler un petit creux au beau milieu d’une réunion des actionnaires. Le Cherry Blossom vient avec un véritable rituel qui arrête le temps.
Son chocolat contient de la coconutte et de la pinotte grillée, oui, mais il contient aussi le rappel que de prendre le temps de déguster la vie, c’est le secret du bonheur. Essaye d’accoter ça, la Kit Kat qui nous promet juste une pause de nos existences frénétiques. C’pas avec quatre bâtonnets qu’on va régler nos burnouts! On a besoin d’un vrai reset collectif, pis il n’y a que le Cherry Blossom et l’infini de son délice qui puissent nous offrir ça.
Louanges liquides
Nul besoin de sel d’Epsom ou de bombes chères du Lush moulées à la main par une bachelière en études anciennes : il n’y a pas de meilleur compagnon sucré pour accompagner un doux moment de détente dans votre bain qu’un chéri blossomme. Tout le bonheur est là, au creux de votre main, le long de vos doigts, le long de votre poignet, le long de votre humérus, oh shit ça coule sur mon coude, y’a-tu une débarbouillette pas loin ayoye j’en ai sur le menton sur le chest dans le nombril mon Dieu ça finit quand de couler c’te maudit chocolo-lô?
Magie du Cherry Blossom, quand tu nous tiens. C’est une friandise qui défie les lois de la gravité, les lois de la physique, plusieurs lois fédérales et provinciales et même les lois que Céline elle-même défie quand ça commence à all coming back to her now. Comment un chocolat de 45 g peut-il contenir 201 litres de sirop de glucose? Pourquoi est-ce impossible de le déguster dignement? Pourquoi est-ce aussi jouissif de sentir le contact du sirop dégoulinant de nos bouches affamées cherchant à attirer et retenir le plaisir goutte par goutte? Devrait-on aller consulter un sexologue si la précédente question nous titille autant? Va-t-on en revenir un jour?
«L’incontestable beauté réside dans une existence marquée par l’inconnu lorsque s’abat le doux voile de l’ignorance sur mon visage imberbe maculé du mystère», disait Arthur Rimbaud, gros fan de Cherry Blossom. La légende veut même qu’il en consommait en abondance avec son amant, Paul Verlaine, qui lui donna l’affectueux surnom de Cherry Bottom.
C’est FOU ce qu’on apprend dans un bac en lettres!
— Caroline
Bien davantage que le secret de la Caramilk, qui n’est que façade et fadaise, l’énigme derrière l’alchimie au cœur même du Cherry Blossom mourra avec le dernier employé à emballer ce bijou dans son écrin aluminiumé pour l’ultime fois. Et notre curiosité s’éteindra avec lui.
Oraison cerisée
[À lire sur le ton que tu prendrais pour une soirée open mic de poésie dans Rosemont]
À toi qu’on arrache violemment de nos étals
Sacrifié sur l’autel de l’avarice et du capital
À toi à qui l’on refuse l’éternité
Nos espoirs déçus, la dernière boîte jaune consommée
Ô chocolat de nos amours, sauras-tu nous pardonner
Notre gourmandise, ayant à l’excès péché
Faisant passer les fausses idoles du profit
Devant le plaisir humble de ton cœur confit
Hélas! Avec cette bouchée ta vie s’achève
Yeux fermés, âmes ouvertes à ton charme
Goulûment, nous buvons à même ta sève
Lorsqu’en nos bouches s’y mêlent nos larmes
[Silence gêné dans le bar, toussotements diffus, la barmaid applaudit par commisération.]
La fin du Cherry Blossom nous rappelle que rien n’est éternel et qu’il faut dire «je t’aime» aux gens pendant qu’ils sont encore avec nous.
Hey Caro, je t’aime.
— MathieuHey moi aussi je t’aime.
— Caroline…
— Le silenceBon ben v’là une bonne chose de faite.
— CarolineOn peut cocher ça de notre liste!
— Mathieu
Mais cette disparition soudaine nous rappelle également qu’il n’y a rien de plus populaire que quelque chose qui se fait canceller. C’est pourquoi nous avons le grand regret de vous annoncer que Vas-tu finir ton assiette va bientôt cesser sa production. Incessamment, là. Dans quelques semaines, genre. Houlala, c’est bientôt! Dépêchez-vous de faire provision d’abonnements sans gluten à notre Substack parce qu’il n’en restera peut-être plus dans pas longtemps. Vite, avant que des racketteurs les revendent sur Marketplace le centuple du prix!
En 2025, on s’est donné comme défi de ne pas toujours terminer avec la conclusion que le problème, c’est le capitalisme. On commence cette résolution en force en ploguant ça dès le début, et pas à la fin!