Zuckerberg nous poke, et on like pas
Et si on partageait ce texte sur Facebook, personne ne le verrait.
Pour dire comme tout le monde dit quand quelque chose change pis que ça fait pas notre affaire : Facebook, c’est pu ce que c’était.
Parce qu’au début c’était quand même cool. Et même le fun! C’est pas trop clair clair pourquoi c’était le fun, cela dit. Parce qu’au début, on postait pas mal de la marde. Facebook circa 2008-2010, c’était surtout des statuts un peu cryptiques, comme la version 2.0 de la petite phrase qu’on pouvait ajouter sur MSN.
Tu pouvais publier genre les paroles de No Surprises de Radiohead pendant ton heure de dîner en te disant : «HA. Personne ne devinera que sous ces paroles de chanson un peu obscures, j’essaie d’exprimer que j’ai cibolaquement besoin de changer de job pis que je déprime. MYSTÉRIEUX.» (Pas du tout un cas réel vécu nononon.)
On est même nostalgiques des conversations privées qui avaient lieu en public, sur les walls de tout le monde, l’équivalent 2008 d’un appel vidéo pas d’écouteurs sur un iPad géant sur la ligne jaune à la sortie d’un show au parc Jean-Drapeau. Pourquoi écrire en privé ce qu’on pouvait écrire au vu et au lu de toustes? Pourquoi diantre priver l’univers d’une telle richesse littéraire, d’une telle exploration gratifiante de la psyché humaine? Cette année-là, voyez-vous, la cousine de Caroline partait en voyage (kekpart), et c’était tellement excitant et pertinent comme situation qu’il fallait que tout le monde y participe.
Hey Caro : POKE!
— MathieuPoke back!
— CaroPoke!
— MathieuPoke!
— CaroEt ainsi de suite pendant quelques bonnes semaines et, selon de savants calculs, Caroline et Mathieu auraient chacun·e eu le temps de découper individuellement tous les mots de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, de les remettre dans l’ordre pis de réécrire Guerre et Paix avec, tout en amorçant leur propre carrière littéraire avec une saga fantastico-sexu de fées pis de goblins cochons avant même que ce soit populaire, s’ils avaient arrêté de se poker.
Ce cercle vertueux de… poking (de pokage? de poker? po-po-po-pokerface-mama-pokerface?) a pourtant eu du bon : voir naître Vas-tu finir ton assiette. Avec le placenta pis toutte!
Sans les broligarques, point de Vas-tu
Si vous aimez notre facétieux duo, vous pourriez être tenté·es un instant d’ajouter Elon Musk et Mark Zuckerberg à votre carnet d’envois de cartes de Noël pour les remercier de nous avoir mis·es virtuellement sur le chemin l’un·e de l’autre (ce qui est mieux que dans le chemin).
On s’est en effet rencontré·es sur le Twitter, et quand on a commencé à écrire ensemble, on s’est créé une communauté sur le Facebook. On postait une blagounette, on avait 500 likes et plein de commentaires. On postait notre nouveau texte, et les gens le partageaient comme on se partageait une diva cup dans une commune des années 70. Vous aviez du fun, on avait du fun, personne ne se lavait les mains, et pendant un bref instant, il semblait qu’un nouveau monde était possible. Cue C’est le début d’un temps nouveau, signes de peace en v’lours, grande chaîne d’amitié autour de la planète.
Je n’attendais que ce cue pour ressortir mes pattes d’éléphant, mon poncho et mon patchouli!
— Caroline, qui écoute un peu trop de Fleetwood Mac
Puis, au bout de plus de dix ans de temps, de sueur, de gestion de communauté funnée, de voyons donc y’ont encore changé la taille de la photo de profil pis d’un tout petit peu d’argent perdu en publicité, on s’est rendu compte (on est vites de même, nous) que eille ça se pourrais-tu que ce soit d’la crotte tout ça?
Notre contenu n’est pas du genre à faire s’ostiner les gens sans fin dans les commentaires. Alors quand on publie, aujourd’hui, c’est avec l’impact d’une femme qui essaie de faire comprendre le concept de charge mentale à son mari : ça passe dans le beurre, un beurre qu’elle a dû acheter elle-même malgré le fait qu’il était clairement sur la liste d’épicerie.
La page Facebook à 7000 abonné·es qu’on a cultivée avec soin est morte parce que l’algorithme a décidé que ce que les gens veulent voir, c’est des images IA de Jésus en crevettes.
OK, mais avez-vous pensé à poster des choses vaguement racistes? ÇA, ça marche!
— Mark Zuckerberg, l’un des plus grands esprits novateurs de notre époque
Maman de Caroline, Pierre-Alexandre Bonin et les trois autres personnes qui likez systématiquement tous nos statuts, c’pas qu’on vous aime pas (on vous adore)(surtout si on vous connaît personnellement)(maman j’ai lavé tes tupperware de biscuits de Noël), mais y’a juste vous qui voyez ce qu’on publie.
Le sentiment de communauté s’est érodé aussi vite que le littoral à Sept-Îles et on a désormais l’impression d’être seul·es sur la plage, les yeux dans l’eau, entouré·es de pubs dégueulasses, de GIF de minions et de statuts refusant de céder les droits moraux à Meta. Bref, nos yeux admirent une christie de belle dompe pis y commencent à chauffer.

Pour citer François Villon : mais où sont les likes d’antan?
C’est dans ce contexte que v’là-ti pas que le 7 janvier dernier, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook et fier détenteur du titre de plus vieux poupon au monde, a enfilé sa montre à 900 000$ («Quelle heure est-il? Ah! L’heure de manger les riches!») et sa chaîne en or de gars-qui-est-cool-maintenant-svp-oubliez-comment-j’étais-avant, pour annoncer au monde que «It’s time to get back to our roots around free expression».

On va espérer qu’il ne retournera pas trop loin dans le temps en cherchant ses racines, parce que juste juste avant de créer Facebook, Zucchiniberg avait créé Facesmash, un site qui te présentait les photos de deux femmes en te demandant de choisir laquelle était la plus «hot». Cool. Les photos avaient été obtenues illégalement en minant les annuaires en ligne d’universités américaines. Faque les jeunes femmes, hot ou pas, avaient pas demandé pantoute à ce qu’on les juge. COOL.
Imagine mener le genre de vie où ça, c’est pas la pire affaire sur ton CV. Imagine que la pire affaire sur ton CV, c’est d’être responsable d’un génocide au Myanmar parce que tu as laissé les gens propager des rumeurs sans réagir.
— Mathieu, qui se souvient de ce qui arrive quand on laisse les gens publier des faussetés sur un réseau social
Bref, pour ramener Facebook «à ses racines autour de la liberté d’espression», Mark va commencer par éliminer le fact checking.
Checke là-bas : un fait!
— Le fact checkeur de Vas-tu finir, pas aussi pertinent qu’on l’aurait espéré
C’est que, voyez-vous, les vérificateurs de faits, ils sont pas neutres. Les gens de droite se font trop souvent dire que leurs affaires sont pas vraies. Pis c’est pas juste. S’ils étaient équilibrés, les fact checkers séviraient également des deux bords, à la fois contre Steve-Dave qui a «Fuck Trudeau» comme avatar et qui écrit que les feux de forêt ont été allumés exprès par des juifs (neuf chandelles par chandelier, c’est vraiment efficace!) pour installer un nouvel ordre mondial, et contre Marie-Anick, détentrice d’une maîtrise en sciences de l’environnement et d’un bac en foresterie, qui explique que le réchauffement climatique joue un rôle dans l’intensité des incendies à LA. Marie-Anick utilise des sacs réutilisables et n’a pas d’auto, ce qui en fait automatiquement et factuellement une crisse de folle sans aucune crédibilité.
Un char, une crédibilité.
Deux chars, deux crédibilités.
— Les fact checkeurs comme les imagine Steve-Dave
Remarquez, ça fait déjà un bout que Facebook est un repère à sornettes, alors on n’est pas trop certain·es qu’on va voir la différence.
Là où on risque de voir une différence, c’est dans ce qu’il est maintenant permis de dire sans se faire suspendre. On va citer la nouvelle politique de Meta avec des guillemets pis toute, parce que c’est tellement grossier que si on paraphrase vous allez penser qu’on vous niaise.
Êtes-vous prêt·es pour le pire paragraphe que vous allez lire ce mois-ci, même si vous empruntez l’un des livres de Guy Nantel à la bibliothèque? OK? Go!
«We do allow allegations of mental illness or abnormality when based on gender or sexual orientation, given political and religious discourse about transgenderism and homosexuality and common non-serious usage of words like “weird.”»
En français, pour le fatigant qui crie dans le fond du bar :
«Nous autorisons les allégations de maladie mentale ou d’anormalité lorsqu’elles sont fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle, compte tenu du discours politique et religieux sur le transgendérisme et l’homosexualité et de l’utilisation courante et non sérieuse de mots tels que ’’bizarre’’.»
Faque si tu as envie de te partir une page intitulée «Les feufis sont des weirdos pis les trans sont des malades mentaux, fuck les bizarres, y’ont juste à être normaux!», t’es le bienvenu su’ Facebook!
Ah mautadit, ce nom de page est déjà pris!
— Kevin-Gavin, qui se gratte le coco en cherchant des synonymesArk. On se sent tellement sales d’avoir écrit ce nom de page fictif, même si c’était juste pour illustrer la dérive, qu’on a fait un don de 30$ à GRIS Montréal pour se nettoyer l’âme.
— Les Vas-tu
Là où n’importe qui se serait contenté·e d’avoir des règlements tellement flous qu’ils laissent passer un peu n’importe quoi, Zuckybergy a décidé que c’était bien important de permettre explicitement aux gens de traiter nos ami·es, notre famille et les gens qui nous sont chers de malades mentaux. Sans oublier de sous-entendre que la maladie mentale est dangereuse et que sa simple évocation a le pouvoir de l’insulte.
Mais inquiétez-vous pas : c’est aussi maintenant permis d’insulter les gens sur leur race, leur genre ou leur handicap. Tout le monde est égal!
Hé ben, va chier mon Mark. Va chier très très liquide très longtemps très creux dans le bois pis fais-toi manger par un ours pendant que tu te vides les entrailles jusqu’au sang à t’en faire exploser les hémorroïdes.
On choisit l’ours.
— Les Vas-tu
Puis, pour conclure sa semaine de red flags sur deux pattes, Zack Muckerberg est allé jaser pendant deux heures au red flag en chef : Joe Rogan. Dans un balado dont va bientôt entendre parler une fille qui sait pas comment se sortir de sa date de marde, Marky Mark and the Zunky Berg a déclaré que le monde des affaires est rendu «émasculé» et qu’il faudrait y ramener plus «d’énergie masculine».
C’est pourquoi il a remplacé la table de ping pong dans les bureaux de Meta par un mur en gyproc dans lequel tu peux fesser quand t’es frufru. Il a également installé de l’équipement d’enregistrement de podcast dans toutes les salles de repos et de réunion.
Comme on était curieux·ses, on a regardé ça, pis sur les 100 CEO les mieux rémunérés au Canada, y’a 4 femmes et 96 hommes. Mieux : ça fait à peine un an qu’il y a plus de femmes que de gars nommés John dans le top 500 des CEO américains. Mais c’est ça la force de l’oestrogène : ça prend juste deux ou trois madames pis POUF! La masculinité prend le bord, les gars menstruent et ça parle juste de magasinage sur les terrains de golf.
Je pense que par «masculinité», y veulent dire «Bouhouhou, j’ai pu le droit de parler des totons de ma secrétaire avec les boys pendant le CA.🙁»
— Caroline, qui en possède elle-même deux
On imagine ce que serait notre vie, si on décrissait de Facebook
Sachant que Meta/Facebook/pis Instagram par la bande a décidé de quel bord de la dérive faciste elle allait se placer (un indice : pas le bon), pas étonnant qu’on se demande toustes si on devrait pas crisser notre camp.
On se demande TOUSTES, hein? On est TOUSTES pas à l’aise avec ce qui se passe, right?
— Les Vas-tu, qui font confiance à leurs lecteur·rices, mais qui ont appris avec le temps à ne rien tenir pour acquis
Mathieu l’a fait, récemment. Il a quitté Facebook en octobre dernier. Personne ne l’a remarqué. (Il essaie de pas le prendre personnel.) Mais lui non plus ne l’a pas vraiment remarqué. Il aurait remarqué quoi, anyway? Qu’il voit maintenant trois fois moins de publicités par jour qu’avant?
Remarquez, si on s’en va toustes de Facebook, c’est même pas sûr que Facebook va s’en rendre compte parce que la plateforme va continuer à rouler quand même. Des robots IA vont publier des trucs qui vont être likés par d’autres robots IA. Ces robots IA vont ensuite se faire un groupe, dans lequel ils vont se partager des trucs d’IA, se faire des blagues d’IA, s’inviter à souper autour d’un repas virtuel, se cruiser virtuellement, se marier dans le Metaverse, avoir des bébés robots IA pis bang! C’est de même que Robocop devient un documentaire historique.
Pendant un temps, Instagram a semblé une option moins pire, comme quand faut que tu choissises entre un néo-nazi confirmé pis un sympathisant nazi ou par quel boutte tu veux ta gastro de garderie, mais comme tout appartient anyway à Meta, bien sûr que pendant des mois, la plateforme a empêché des ados de chercher du contenu LGBT pis of course qu’elle entraîne son algo avec des photos de ta face en générant du contenu par IA sans ton consentement. C’qu’on est bêtes de penser que ce serait à peine moins d’la marde! Mais hey, on a des avatars sympathiques pas pantoute cringe pour ponctuer nos discussions privées. Ça, ça nous donne envie d’y rester.
Faque on fait quoi?
Shit… Est-ce qu’on est en train de faire un de ces longs statuts «Je quitte Facebook!» dont tout le monde se crisse?
— Les Vas-tu, qui réalisent tranquillement ce qui se passe
On n’a pas la réponse.
Si on l’avait, on serait interviewé·es partout comme expert·es techno, on aurait réussi à rallier l’Amérique au complet derrière notre solution miracle, Zuckerberg serait revenu sur sa décision et nous aurait donné toutes ses parts dans Facebook en s’excusant publiquement d’avoir voulu saboter le monde, tous les Cybertrucks seraient transformés en bibliothèques mobiles pour quartiers défavorisés, et le lait d’avoine ne serait plus en extra dans tous les cafés de troisième vague du monde entier.
Mais comme on est surtout en demande quand vient le temps d’une nouvelle saison des Chefs!, à part vous dire de ne pas faire de sous-vide parce que ça sert à rien, on n’a pas trop trop de solution à vous proposer.
Mais peut-être qu’une des pistes serait de traiter l’internet comme si la fin du monde était constamment à nos portes et que tout était toujours sur le bord de s’écrouler.
Faque… comme dans la vraie vie?
— Les lecteur·rices, pas sûr·es de suivre
Il faudrait penser comme des survivalistes de l’internet, et se construire des réseaux qui existent en-dehors des intérêts des milliardaires. Partons-nous des groupes de discussion par texto, abonnons-nous à des infolettres qui envoient l’information drette dans notre courriel1, apprenons comment écouter des balados hors de Spotify, ou…
Ou… plutôt que de tout quitter, constamment, à la recherche du prochain espace sain qui sera de toute façon bien vite pollué à cause du… [tout le monde ensemble] ✨capitalisme✨, on pourrait resserrer les mailles de nos communautés. Continuer d’investir des espaces afin de tisser des liens, pour qu’on puisse communiquer, échanger, connecter. Parce que c’est ça qui fait peur aux broligarques et autres «Mussolini avait quand même un bon point» : qu’on face front commun contre l’intolérance, la haine et la violence.
Oui, on passe par Substack, qui est une plateforme qui peut mal virer anytime. Mais en ce moment, Vas-tu finir ton assiette, c’est surtout une liste d’adresses courriels qu’on peut prendre avec nous en crissant notre camp si le besoin se fait sentir. Si vous êtes un créateur ou une créatrice, en 2025, cette liste de courriels est la chose la plus précieuse que vous possédez.
J'avais hâte à un bon texte en français sur toute ce shit show, et comme d'hab, vous décevez pas, les Vas-tu! J'ai désactivé Instagram l'an passé pis FB au début de 2025 (c'est dull en esti comme décision quand tu fais de l'art visuel sur internet depuis avant Tumblr) pis je m'accroche à ma liste de courriels avec ferveur et dévotion moi tou.
Z’avez entendu parler de La nouvelle place, j’espère? En tout cas, on vous attend!