Smuck you I won’t croûte what you told me

On a déjeuné en goûtant à la fois à la fin et au début du capitalisme. Sans croûte.

En photo : le président de Smucker.

Vous savez, ici, au consortium Vas-tu finir ton assiette – Goûteur·ses intrépides et Astronautes en formation, on essaie d’approcher tout ce qu’on teste avec un esprit ouvert. Après tout, c’est souvent plus facile d’ouvrir notre esprit que notre appétit, quand on ramène à la maison un Kraft Dinner concombre et abricots, ou des chips à saveur de cornes de rhinocéros (édition limitée saveur spéciale Congo Belge). 

Mais des fois, on croise un produit dont l’existence même vient nous chercher viscéralement. Qui nous bouleverse tellement creux que ça aurait pu être un paquet de six Croiser-sans-avertissement-la-personne-qui-te-bullyait-au-secondaire. Un dîner congelé de Réaliser-pourquoi-ton-ex-t’a-laissé-pis-oh-fuck-elle-avait-raison. Une canne de petit pois que chaque pois, c’est le nombre de jours qu’il te reste avant que tes parents meurent. 

Voyez le genre? Un produit qu’on voit pis qu’on se dit que rendu là, pourquoi pas juste crisser le feu à toute?

Plus que d’habitude, tsé.
– Mathieu, qui a toujours un briquet dans ses poches, au cas où.

As-tu besoin de fioule écolo?
– Caroline l’écoanxieuse, qui a délaissé les combustiles fossiles pour allumer ses cocktails Molotov avec de l’huile à patate frite pis deux silex

Bref, l’autre jour, à picerie, on est tombé·es face à face avec les Uncrustables.

Si vous vous dites «Hein? Le film avec Sylvester Stallone?» : non. Bel essai. C’est vrai que Stallone c’est une pas pire croûte. Mais ça, c’est les Expendables.

Les Uncrustables, le produit, pas le film, c’est un truc inventé par Smucker’s. Et si vous vous dites «avec un nom comme Smucker’s, ça doit être bon», félicitations, vous êtes une boîte d’Uncrustables et vous venez d’acquérir une conscience. Parce qu’autrement, personne jamais nulle part n’a dit ça.

Smucker’s, c’est la compagnie de confiture. Pis récemment, lors d’un lac-à-l’épaule du CA de Smucker’s, les 48 monsieurs à cravate qui rêvent à des fichiers Excel quand ils font une sieste se sont rendu compte que le lucratif marché des produits congelés leur échappait encore. Car qui veut manger de la confiture congelée ou du beurre de pinottes congelé?¹

«Il nous faut absolument nous saisir des parts de marché du congelé. C’est ce que mon grand-père, Steve Smucker, aurait voulu», lança Steve Smucker III, patron de la compagnie, et personne qui a eu la job grâce à ses compétences et rien d’autre. «Donnez-moi vos idées! Et rappelez-vous : c’est un brainstorm, alors il n’y a pas de mauvaises idées… HAHAHAHAHA! C’est une joke. Si vous dites une connerie, on vous crisse dehors. GO!»    

Immédiatements, les idées plurent.

— De la confiture congelée, boss?

— Dehors.

— Un kit de confiture à faire soi-même, auquel il suffit simplement d’ajouter le sucre et de faire chauffer jusqu’à ce que ça épaississe. 

— Faque bref, tu voudrais qu’on vende un sac de fraises congelées?

— Ben…

— Dehors! Next!

— Des toasts… congelées?

— Hum… J’haïs pas ça… Mais faudrait acheter un grille-pain industriel. Ça coûte cher.

— Et si… [l’homme à cravate mit ses mains en triangle devant sa bouche, pour indiquer qu’il entrait dans une réflexion intense] Ouais… ça pourrait fonctionner… Mais… ha… Non… c’est trop fou… On… Non…

— Mais parle, bon sang! Parle!

— Et si on vendait… des beurrées de confiture congelées.

— Comme… du pain straight… avec de la confiture dessus… pis congelé?

— Oui. Et du beurre d’arachide aussi, peut-être.

— Mais… c’est… DU GÉNIE! Nous allons être millionaires!

— [Toute l’équipe] Yeaaaaah!

— [Juste un dude] Mais… on est déjà millionaires.

— Dehors.

Faque c’est ça. Les Uncrustables, c’est un «sandwich au beurre d’arachide et à la tartinade de fraises». Congelé. Pis sans les croûtes. Et rond, parce que les angles, ça goûte moins bon, et que tant qu’à polluer en les emballant individuellement dans une boîte, aussi bien gaspiller des coins de pain aussi tant qu’à faire.

Par réflexe, puisque c’est un produit congelé, on pense qu’il faut mettre ça au micro-ondes. Genre 45 secondes, zip zap, pis t’as un beau ti-sandwich express, comme une pizza pochette pinottes & purée de fruits.

Nope.

Tu le sors de la boîte, tu le garnottes sur le comptoir, pis tu attends 30 minutes.

Pour faire un beau petit rond avec pas de croûtes, Smucker’s se retrouve à enlever à peu près 50% de la surface d’une tranche de pain moyenne. Ça fait un beau rond, mais ça fait pas beaucoup de mie, les ami·es. 

Chaque boîte contient 4 Incroûtables. 

Ça coûte 6 piasses. 

Presque 7 avec les taxes. 

Peut-être 8, si Galen Weston décide de t’attendre à la sortie du Loblaw’s pour te voler ton argent de lunch juste parce que ça y tente.

On pourrait être inclusif·ves pis se dire «quand même, pour une personne en situation de handicap qui est incapable de manipuler des pots de confiture ou des couteaux, ça peut être pratique d’avoir des sandwichs toutes faites sous la main qui passent pas date, un peu comme l’ail en pot». On pourrait. Sauf que ladite personne en situation de handicap va probablement pas flober six piasses et kek sur quatre sandwichs de trois bouchées quand elle a parfois même pas les moyens d’habiter dans un lieu adapté à ses limitations fonctionnelles, faque on doute que Smucker’s ait décidé par bonté d’âme de viser le très lucratif marché des personnes avec un handicap et beaucoup de revenu discrétionnaire qui ont aussi une passion dévorante pour le pain mou.

Notre premier réflexe est de dire que si tu achètes ça², tu perds le droit de te plaindre de l’inflation. Notre deuxième est de se dire que non! Fuck that! L’inflation est causée par des riches déconnectés, les mêmes qui ne voient pas l’indécence de mettre sur les tablettes l’équivalent de deux tranches de pain et trois cuillérées de confiture pour six piasses. 

Pour paraphraser un célèbre théoricien du chaos : les ultracapitalistes étaient si préoccupés à se demander s’ils pouvaient, qu’ils ne se sont jamais demandé s’ils devaient. 

La croûte… heu… trouve toujours un chemin.
– Ian Malcom

Faque ça goûte quoi, votre grément, là?

Que vous vous dites, intrigué·es et possiblement un peu tanné·es qu’on soit autant révolté·es avant même d’en avoir pris une bouchée.

Soyez patient·es (au moins 30 minutes, le temps que ça dégèle), parce que ça va pas aller en s’améliorant.

Celleux qui nous lisent depuis un p’tit bout savent qu’il n’y a pas grand-chose qui nous met le plus en beau câlisse qu’un produit dont la saveur ne tient pas ses promesses.

Surprise! Ici, ce qui nous entabarnaque le plus, c’est que le produit tient exactement ses promesses. 10/10. No notes.

L’Uncrustable goûte à la perfection ce qu’il annonce être et désire imiter : du pain mou entre les tranches desquelles se cachent de la confiture cheap et du beurre de pinottes cheap. On aurait eu le même résultat avec un sac de pain blanc Sans Nom, de la confiture Les Irrésistibles pis un cup de beurre d’arachide volé dans un resto à déjœufner.

le

même

fucking

résultat

Lors d’un test de goût les yeux bandés dans un segment pas encore diffusé d’un banc d’essai de L’Épicerie avec Johanne pis Whoever Remplace Denis, 100 pour cent des testeur·ses ont déclaré que non seulement iels étaient tout à fait incapables de déterminer quelle assiette contenait un Incroûtable et laquelle contenait un sandwich pb&j maison qui aurait passé la journée dans une boîte à lunch au soleil dans un camp de jour avant de revenir à la maison pas mangé, mais aussi qu’avoir su qu’on leur demanderait de tester deux zaffaires aussi identiques et peu savoureuses, iels auraient pas abandonné leur panier rempli de crème glacée pis de poulet frais dans l’allée 3. 

Vas-tu finir la boîte de ton achat insultant au possible?

C’est ici que s’amorce le dilemme qui se joue de plus en plus souvent dans nos vies depuis qu’on a pris conscience de l’état du monde : est-ce qu’on mange le reste parce qu’on a payé pour (pis cher à part de tsa), jouant ainsi jusqu’au bout le jeu du capitalisme, ou est-ce qu’on crisse toutte ça aux vidanges³ par principe, gaspillant ainsi de l’argent pis de la nourriture alors que des enfants vont à l’école le ventre vide (quoiqu’avec un Uncrustables, iels auraient le ventre juste un peu plein pendant maximum quinze minutes)? Peu importe notre choix, nous le regretterons et il nous pèsera sur la conscience pendant au moins dix, vingt minutes heures jours… well, au moins jusqu’à ce qu’une autre cochonnerie nous fasse de l’œil au Maxi pis qu’on flanche, sous le prétexte qu’on fait de la littérature.

Ainsi va la vie qui va ah! Ainsi va la vie qui vaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah aaaaaaaaaaaaaaaah aaaaaaaaaah dans l’univers de Vas-tu finir, alors que chaque texte commence par «quossé ça wow ça se mange» et se termine par quelque chose comme un appel à voter marxiste-léniniste aux élections du comité de parents. Croyez-nous, on est conscient·es de l’ironie de critiquer le capitalisme la bouche pleine de pas-de-croûtes. Que voulez-vous, on a payé pour, on va le manger, mais on aura pas d’fun pis on va vouloir que ça se sache.

1. Ce n’est pas une question rhétorique, c’est une vraie question, et on va se la poser encore longtemps même après la fin de ce texte. 

2. Pour ta consommation personnelle, et pas pour le bien de la science, de la littérature et de l’humanité comme nous on le fait.

3. Pardon, dans le ti-sac mauve de la biométhanisation.