Tacos (en français s'il vous plaît)
Viande, patates et sauce fromagère tout en un : c’est pas Johnny Hallyday qui chantait Les gras en croix?
Quoi ma gueule?
Qu’est-ce qu’elle a ma gueule?
Elle est affaissée d’un côté?
Je fais un AVC?
— Johnny Halllyfhdghfdhjk
Comme son nom l’indique bien évidemment, et vous l’aurez deviné parce que vous êtes vraiment super bright puisque vous êtes notre lectorat, le matelas est une version hexagonale (dans l’origine, pas dans la géométrie) du tacos (avec un s au singulier, parce que pourquoi pas). Le matelas, ou tacos français, ou tacos lyonnais ou grenoblois, car pourquoi faire simple quand on peut faire français, est comme un taco mexicain mais pas vraiment, un peu un panini mais pas tout à fait, un genre de wrap mais c’pas tant ça, un burrito oh oh oh ou un kebab à gogo. C’est un plat au confluent de cinq ou huit pays qui se demandent un peu quelle mauvaise sortie d’autoroute ils ont pris pour arriver là.
14 juillet oblige (le jour de la prise de la Pastille, quand les Français se sont débarrassé de leur rhume monarchique), on s’est dit qu’il fallait essayer ça. Mais on se contera pas de menteries, ni même de galéjades : c’est avec appréhension et beaucoup de doutes et de synonymes que nous sommes allé·es tester les tacos français.
Difficile de ne pas voir le ridicule dans une telle appellation. Qu’est-ce que le tacos peut bien avoir de français? Pouvez-vous imaginer Georges Brassens retourner à l’Auvergnat pour se faire un p’tit Old El Paso, et entendre Charles de Gaulle lui dire qu’il a de la guacamole dans la moustache? Naaaaaah. Les tacos et la France, ça ne peut pas aller ensem…
On n’a rien dit. C’est cool. On ne peut pas faire plus français que «French Takos». Bien joué.
Reste la peur d’être un peu en retard sur la mode. À Montréal en 2023, les tacos des cousins sont les magasins de vapoteuses en 2014 : dès qu’un commerce ferme, c’est un resto de tacos takos qui ouvre à la place. Si ça continue comme ça, il va y avoir autant de restos de tortillas européennes en ville qu’il y a de soirées d’humour sans filles sur le pacing.
Arrive-t-on un peu tard dans la vague? Certes. Y a-t-il des tacos français au Tim Hortons? Non. Alors on est encore correct·es.
Le concept de ce plat présuppose un état d’ébriété semi-avancé, et c’est pourquoi on a profité de notre vendredi midi pour l’essayer. Tout est conçu pour éponger les dommages de l’alcool, du pastis et de la réforme des retraites.
Il y a des frites dedans, et aussi des frites à côté et des frites tout le tour si tu déposes ton sandwich au milieu. Il y a aussi de la viande, n’importe quelle viande mais surtout du bœuf, qui ne goûtera rien de toute façon car elle sera abondamment recouverte de sauce fromagère, ainsi que d’une ou deux autres sauces, comme autant de liants ou de Gorilla Glue pour tenir le tout ensemble.
Et maintenant qu’on a décrit ce que c’était, on se trouve un peu niais·es d’avoir douté. Ça a tout pour être bon. Du sel au gras, en passant par le gras et le sel, avec un détour par le fromage et la sauce, tous les éléments essentiels au snack satisfaisant y sont, tels que décrits dans l’Encyclopédie de la cuisine française, dans un chapitre écrit sur une vieille napkin tachée par Paul Bocuse ben pacté à 4 heures du matin et coupé lors de l’édition du livre.
Comme de fait, dès la première bouchée, c’est le bonheur. La larme à l’œil et la sauce au coin de la yeule, on se lève, on se met la main sur le cœur et on entonne La Marseillaise (ou juste le début d’All you need is love). Après un couplet et demi, on se rend compte que c’est bizarre en maudit que ton hymne national parle de monde qui éventre tes enfants pis ta blonde et t’encourage à te baigner dans du sang impur, et on se rassoit pour finir, menoum menoum, notre tacos.
Le génie français, celui-là même qui nous a offert Céline Sciamma, Virginie Despentes et Jordy, a encore frappé, mesdames et messieurs.
Je m’appelle Jordy, j’ai maintenant 35 ans et vous vous sentez vieux.
— Jordy, dans une réactualisation de son succès que personne n’avait demandé.
Le nom est 100% ridicule, et s’il n’est pas trop tard, on propose nos services pour un éventuel deuxième brainstorm là-dessus. On accepte d’être payé·es en [insert here le futur nom vendeur qu’on aura trouvé grâce à une nouvelle conscience créative atteinte à force d’en manger].
Mais le goût? Ça score dans le mille comme *google vite vite un nom de footballeur autre que Zinedine Zidane pour pas avoir l’air trop basic* Kylian Mbappé. Le minimalisme du pain permet au fromage et à la la sauce de prendre toute la place, comme s’ils étaient deux hommes blancs dans une émission de débat sur CNews. À chaque bouchée, il faut s’essuyer soit la bouche, soit les mains, ce que les traditionnalistes appellent «l'art de vivre français».
C’est peut-être un peu lourd, et on se demande où le peuple français trouve l’énergie d’incendier des voitures de gendarmes pour protester contre la mort injuste d’un enfant avec ça dans l’estomac, mais comme on vient du coin qui a inventé la poutine, on ne peut pas vraiment parler.
Le bouton du pétalon détaché, dans les brumes de la savoureuse graisse que nous venons d’ingérer, l’esprit divaguant au son d’un accordéon musette sorti d’on ne sait où, on se prend à rêver. À rêver d’un monde meilleur, d’une société plus juste, d’un avenir paisible pour nos enfants et… d’une tortilla Gadoua dégoulinante de patates de casse-croûte, de fromage en grains déjà un peu fondu mou et de rondelles de soucisses Hygrade, à tremper dans un petit pot de sauce brune su’l side. Diantre! On vient d’inventer le tacos québécois1!
Ashton, on attend ton appel.
Vous l’aurez lu ici en premier. Si vous voyez ceci quelque part, que ce soit à Valleyfield ou à Val-Bélair, sous un nom dérivatif comme «burrito québécois», «wrap à la Gilles Vigneault» ou «panini pur laine», vous saurez qui créditer.