On a testé : acheter un livre (encore)
On encourage accidentellement la littérature ET le capitalisme.
Faque on avait un rendez-vous de thérapie, comprends-tu. Pis après avoir sorti autant de confidences de notre cœur, de larmes de notre face et de dollars pas remboursés par nos assurances de notre compte-chèques, on avait besoin d’une p’tite dose de dopamine.
En marchant sur la grand-rue, maudissant l'oubli de nos lunettes de soleil parce que 1) on a clairement l’air d’avoir eu un rendez-vous de thérapie où on a jasé avec notre moi enfant pour lui offrir aujourd’hui ce qu’il n’a pas eu dans le passé, et 2) on est fin octobre pis il fait 22 degrés gros soleil1, on croise son regard.
Il est là. Il nous attend. Il est prêt. Il veut être nôtre.
On passe le pas de la porte. On pose notre main dessus. On le prend délicatement. On le respire. On lui flatte le dos. On l’a choisi. Il a dit oui. On le ramène à la maison.
Mais soudain, on hésite.
Pourquoi seulement lui? Pourquoi pas l’autre juste à côté, qui nous fait aussi de l’œil? Et pourquoi pas le groupe, là derrière, qui semble inséparable?
La vie est courte. On mourra bien assez vite. On dit oui à tous.
Et c’est comme ça qu’on se ramasse à traîner vingt-deux livres sur deux lignes de métro, un bus et quinze minutes de marche.
Le hit de dopamine est éteint avant même qu’on ait finit de monter les marches jusqu’au troisième. On se raisonne en se disant qu’un jour, on va l’avoir, cette pièce qui sert juste aux livres, avec une petite échelle sur roues ou des escaliers en colimaçon comme dans La Belle et la Bête. Et ce jour-là, ce serait vraiment dommage d’avoir rien à mettre dedans.
(C'est pour la même raison d’un potentiel Belle et la Bête qu’on garde ce chandelier chantant un peu snob au lieu de le donner à la friperie, même s’il nous gosse.)
Trop, c'est comme pas assez. Littéralement.
Votre conjoint/amante/partenaire de vie/coloc/co-signataire de bail/partenaire de cellule tentera inévitablement de vous dissuader d’acheter de nouveaux bouquins, sous prétexte que [à lire en empruntant une voix niaiseuse, genre celle de Bernard Drainville] «tu as déjà trop de livres à la maison». Paraît même qu’il n’y a [voix de PSPP] «plus de place».
Pffff. C’était peut-être vrai avant, mais depuis que vous avez mis le El-Ran au bord du chemin, pris une partie de ces livres et les avez amassés dans la forme d’un divan et les avez recouverts d’une housse, c’est complètement faux! Y’a full de place, checke!
La dernière personne qui m’a dit qu’il y avait trop de livres chez nous, je ne l’ai jamais revue. Pas que je la boude, non. Je pense qu’une pile de livres lui est tombée dessus. Entéka, je devrais la retrouver un moment donné en passant l’aspirateur.
— Mathieu
Quand on parle de romans et recueils, avoir trop de livres, c’est comme ne pas en avoir assez. Tu regardes ta pile, et tu ne sais pas par où commencer. Tu ne sais pas quoi choisir. C’est donc exactement comme si tu n’avais aucune option, AKA pas assez de livres. Seule solution? Ajouter des choix.
Les gens pensent que ma passion dans la vie, c’est la littérature. C’est pas tout à fait vrai : ce qui me fait vibrer, c’est d’acheter un livre tout de suite parce que j’ai envie de le lire là, maintenant, pis de rentrer à la maison avec pour pas le lire.
— Caroline, grande pré-lectrice
Certes, notre pile à lire est moins une pile qu’une tour, et on vient tout juste d’entamer le livre qu’on a acheté le 12 août il y a dix ans (Horoscope 2014, d'Anne-Marie Chalifoux, dites-nous pas comment ça finit!), mais ça s’appelle la journée J’ACHÈTE un livre québécois. Et c’est exactement ça qu’on a fait. EUX, ils l’ont compris l’affaire.
La journée «Le 12 août, je lis un livre québécois», ça marcherait pas pantoute. On se connaît, on est en 2024, ça deviendrait vite la journée «Le 12 août, je lis un livre mais avant je vais juste aller checker sur Instagram si mon ex a vu ma story ah ben gadon y vient de se passer trois heures j’ai pas vu le temps filer ben coudon c’pas grave je lirai un autre jour québécois».
Le livre acheté est aspirationnel, d’abord et avant tout, et il n’y a pas de mal là-dedans.
Être Mathieu et Caroline de Midi et six, riches comme Crésus qui aurait investi dans le Bitcoin, on mécénerait des artistes en leur commandant des poèmes pour n’importe quel événement, genre le jour des vidanges, des opéras et des portraits 12 pieds par 12 pieds nous montrant dans d’élégants manteaux à petis cols de fourrure d’hermine et tenant dans nos bras des bébés avec d'épeurantes faces d'adulte.
Mais on est Caroline pis Mathieu, deux cassés qui ont un jour eu l’idée débile de gagner notre vie en écrivant des affaires sur internet. Notre mécénat, c’est de pitcher de nos sous à ceux qui ont fait un plus pire mauvais choix que nous : celui d’écrire des romans en papier.
Petit aparté controversé de Mathieu
Hey, ça sent-tu bon un livre? Ho, que ça sent bon un livre.
Moi, dans mon frigo, c’est pas une boîte de tite vache que j’ai pour enlever les odeurs, c’est un roman de Dany Laferrière.
Avant de sortir le vendredi pour me ramasser des greluches, je me frotte un Harlequin dans le cou. Ça les rend plus folles que du Axe.
Chez nous, c’est pas un Glade que j’ai de branché dans le mur, c’est L'alchimiste de Paulo Coelho. Il distille dans mon appartement cette douce odeur de philosophie à deux cennes.
HEY!
Lâchez-moi avec l’odeur des livres. C’est pas une mijoteuse avec un jambon à l’érable dedans, c’est un livre! La circulaire du IGA sent la même affaire que votre roman de Kev Lambert, pis j’ai jamais vu un camelot de Public-Sac tripper sa vie à sniffer les coupons-rabais. Y’en a parmi vous qui capotez tellement sur la maudite odeur des livres que je me demande comment vous faites pour les lire. À inspirer autant, vous êtes pas constamment trop étourdi·es pour fixer la page?
Réplique de Caroline
J'ai un parfum qui s’appelle Book.
Mon cou, mes poignets et mes aisselles dégagent en permanence une délicate odeur d’aldéhydes, de vanilline, d’acide acétique, de benzaldéhyde et de cellulose en décomposition.
Je fais fureur dans les congrès de bibliothécaires!
Retour au programme principal (pis pendant que Mathieu chialait, Caroline faisait du add to cart sur le site des Libraires)
Organiser autant de livres est pratiquement une job à temps plein. Acheter de nouveaux livres, placer lesdits nouveaux livres, trier les nouveaux livres, changer de pile les moins nouveaux livres pour créer une rotation avec les nouveaux livres, découvrir trois exemplaires du même livre (un nouveau, un moins nouveau qu’on se rappelle pas avoir acheté et un qu’on a visiblement acheté quand on se rappelait pas avoir acheté le deuxième), se rendre compte qu’il nous manque un tome dans une série qu’on n’a pas encore lue mais qu’on se promet de lire car on l’a mise want to read sur Goodreads et ça, c’est pratiquement comme l’avoir commencée ou même presque lue non?, traquer ledit tome dans son édition épuisée sur un site de livres usagés en Australie le shipping est cher mais au moins le taux de change est avantageux tout cela parce qu’il faudrait quand même pas avoir une série dépareillée, devoir créer un espace sur la tablette pour quand le tome va arriver (4 à 6 semaines nous dit le transporteur, ce qui nous donnerait le temps de lire les quatre premiers tomes, qu’on calcule), être obligé·es de déplacer toute la production livresque d’un auteur à la tablette suivante parce que ses livres n’étaient pas sur la même rangée, de ce fait remettre en cause toute notre organisation spatiale et se demander si on devrait y aller avec Dewey, LCC, la table Cutter-Sanborn ou plus vulgairement par thématiques larges, être saisi·es d’une bulle au cerveau (c’est ça que ça fait, trop de doomscrolling sur #booktok à 3 heures du matin) et se dire qu’on pourrait même classer les livres de recettes par couleur que ce serait pas pire beau dans la cuisine, trier la moitié d’une bibliothèque, se tanner, remettre en question ses choix de vie, aller se coucher directement à terre entre deux piles d’Agatha Christie vintage.
Où voulez-vous qu’on trouve le temps de lire?
Si vous êtes du genre tout à fait sain·es d’esprit et achetez une quantité raisonnable de livres, ben déjà c’est assez étonnant que vous nous lisiez, et qu’en plus vous vous soyiez rendu·es jusqu’ici (bravo!), pouvons-nous vous suggérer comme achat logique et pertinent nos propres ouvrages? Y prennent pas vraiment de place, promis promis : ils se glissent aisément dans votre sacoche de taille moyenne, une poche de shorts cargo même à ce temps-ci de l’année ou pour ajuster une table de salon très très bancale. Bref, des dépenses tout à fait justifiables que vous avez pas besoin de cacher à votre conjoint·e!
Vas-tu finir ton assiette?
Essais et facéties entre deux allées d’épicerie
Québec Amérique
Amours féroces
Dix regards clairs-obscurs sur la maternité
Collectif
KO Éditions
Voir notre excellent et savoureux texte sur les changements climatiques (promis tu vas rire de la fonte des glaciers!).